“Le Château du crâne”
— Le dernier bastion

Richard Misiano-Genovese (2008)

Skull Castle

Bien au-delà des remparts, au fond des os et au-delà des tendons, de la chair et du sang qui pulse : rouge, bleu, violet, rose. Au-delà de la masse de chair battant, pulsant, frémissant, sont les dernières rémanences de l’expression individuelle. Cachées dans l’os et le tissu, le sang et les synapses, dérobées à nos yeux indiscrets.

Considérant notre forte propension au voyeurisme, même les secours de la psychanalyse ou les tentatives de haute technologie des scanners CAT ne pourront jamais tout révéler. Ni ne devraient tout révéler ! Cette réaction individualisée, cette réponse, cette impulsion électrique du sursaut émotif, ne sont-ils pas cachés dans cette pagaille pulpeuse de jus, de tissus, de tendons, d’os et d’influx nerveux ?

La réponse devrait être un oui retentissant !

Il ne s'agit pas tant de la magie, du mystère de l’existence, d'un naturalisme sans doute métaphysique ou peut-être, de manière téléologique, de la nature perfide de la vie elle-même, mais plutôt de la transformation de l'être par les progrès de la culture – en bref, de l’impact de la technologie. Progrès donc, à partir de la première découverte du feu, de l’exploitation de son pouvoir, de l’invention de la roue, toutes techniques rudimentaires selon nos normes actuelles et néanmoins indéniablement indispensables à notre existence même, mais qui avance, comme la technologie a la mauvaise habitude de le faire. Et avec ce progrès viennent beaucoup de grandes choses, et quelquefois, beaucoup de choses effrayantes.

Les progrès réalisés dans ce joli petit exercice que nous appelons la science, portent en eux tous les pièges de la supercherie. Ils nous font traverser la succession des étapes technologiques d’une part, mais nous condamnent, par un orgueil fallacieux, à éliminer l’esprit de notre être naturel, nous abandonnant comme des coquilles vides qui autrefois continrent les fruits du bonheur, du ravissement, l'unité de l’être. En fait, l’existence elle-même pure et inaltérée. Cette existence aurait été un véritable Age d’Or de l’Homme.

L’homme est une créature sociale par nature, et en tant que collectif nous sublimons notre propre volonté pour le bien du groupe ; chacun apportant ses compétences et ses connaissances dans cette union des forces afin de la soutenir. Nous faisons avancer notre union par le biais du progrès technologique. Mais la technologie, d'autre part nous réduit aussi à un commun dénominateur, à un jeu à niveaux multiples qui est un parfait casse-tête. Car, sans aucune technologie, l’homme en tant qu'espèce en serait resté à un niveau simple, guère au-delà de celui des bêtes stupides qu'il exploite pour son propre plaisir et pour son intérêt.

Mais, l’autre versant de la technologie nous apporte une facilité de vie, une myriade de choix par lesquels nous pouvons profiter, dans notre vie quotidienne, d'un confort et de raffinements jusqu’alors inimaginables et in-imaginés. A chaque nouvelle génération, le progrès nous apporte davantage de temps libre pour des activités plus agréables, et éloigne les corvées quotidiennes nécessaires à notre existence.

L’avènement de ces nouvelles merveilles technologiques qu’on appelle ordinateurs, s'est accordée finement à notre émancipation et l'a libérée des liens qui la rattachaient à de nombreuses tâches de recherche et de communication. Ce qui ouvre une véritable boîte de Pandore pour nous tous. Pour le meilleur et pour le pire, comme cela a déjà commencé à se rendre manifeste. Alors que l'aisance dans les communications, la sophistication des gadgets et des jouets à notre disposition nous fournissent des munitions pour une croissance créatrice, et une stimulation mentale, et devraient donc du fait de leur existence même améliorer la qualité de nos vies, elles nous offrent aussi un cocon qui nous enveloppe et nous sépare de notre prochain. Des milliers d’années d’évolution nous ont appris à nous réunir en groupes, au-delà de l’unité familiale, en une société plus vaste au sein de laquelle nous interagissons et intégrons nos vies. Mais il advient maintenant que nous sommes de plus en plus isolés par la technologie alors même que ce que nous atteignons à travers le cyberespace rétrécit en fin de compte ce qui pour nous, d'une certaine façon constitue le monde réel.

Cette lame à double tranchant de la technologie pourrait finalement nous amener à ce point où nous n’aurions plus à nous contenter du conjoint ou même de la famille que la nature nous offre. Nous pourrions être en mesure d’en passer commande sous la forme d’une sorte de produit manufacturé bio-cybernétique. De sorte que, la technologie peut fonctionner pour nous et contre nous, selon ce que nous choisissons de lui permettre de faire.

Ce serait alors comme si nous pouvions regarder en ligne des sites nous présentant des créatures sur-mesure pour accomplir nos tâches les plus banales. Travail gratuit, sans aucune résistance, et en fait, quelqu’un ou quelque chose, qui veille sur nous comme un tuteur en fonction de nos besoins particuliers. Cela nous dispenserait de consacrer notre temps précieux à la poursuite des plaisirs. Et en fait, ces créatures sur-mesure pourraient satisfaire les plus primales des pulsions qui bouillonnent sous la surface. Il n’y a aucune limite aux possibilités offertes. Il n'est question que de savoir quand et comment ce processus technique sera disponible pour nous.

Ce n’est qu’une question de temps…

Tout en revient ainsi au point axial, au foyer, au centre même de notre perception de nous-mêmes et des autres et à comment nous répondons, comment nous réagissons à l’existence palpable à laquelle nous nous accrochons désespérément en toute conscience pourtant de ce que le vide, l’oubli, sont là, juste au-delà du prochain horizon. Nous approchons maintenant du point où le monde physique que nous mettons en question, devient de plus en plus l’objet de nos manipulations et de la capacité de notre esprit à nous emporter vers ces nouvelles régions de la pensée et de la substance. C’est en ce domaine que nous donnons libre cours à nos besoins et à nos désirs les plus secrets dont la technologie facilite la course.


Richard Misiano-Genovese (2008)


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LOUP-GAROU - 2012